Anne-Laure BULIN est chercheuse INSERM à l’Institut pour l’Avancée des Biosciences (IAB). En 2014, elle obtient un doctorat en physique sur les processus de relaxation d’énergie dans les nano-scintillateurs. Elle rejoint ensuite la Harvard Medical School où elle étudie la combinaison de la thérapie photodynamique avec la radiothérapie et codéveloppe plusieurs modalités basées sur l’imagerie pour faciliter la lecture des résultats sur des modèles 3D. En 2017, elle rejoint l’équipe Rayonnement Synchrotron pour la Recherche Biomédicale de Grenoble où elle est ensuite recrutée comme chercheur à l’Inserm en 2019. En 2022, elle rejoint l’IAB pour établir son programme de recherche indépendant récemment couronné par l’obtention d’une bourse ERC Starting Grant (European Research Council).
Vous avez récemment obtenu un financement européen de l’ERC (European Research Council) sous la forme d’une bourse « Starting Grant ». Pouvez-vous décrire l’objectif du projet ? Quel est l’impact attendu pour votre équipe de recherche ? Quel impact à l’échelle de votre institution et de la région ?
Le projet RADIANCE a pour objectif d’étudier la capacité de nanoparticules appelées « nanoscintillateurs » à améliorer l’efficacité de la radiothérapie dans le cadre du glioblastome, le cancer primaire du cerveau le plus commun chez l’adulte, qui demeure dans une impasse thérapeutique. Ces nanoscintillateurs ont la particularité d’émettre de la lumière quand ils sont irradiés par des rayonnements ionisants, tels que les rayons X utilisés en radiothérapie par exemple. Par ces propriétés spécifiques, ces nanoscintillateurs auraient la capacité d’améliorer les traitements par radiothérapie en induisant localement au moins trois effets thérapeutiques qui viendraient s’accumuler à la radiothérapie et potentiellement agir en synergie avec celle-ci. Une particularité du projet RADIANCE est son approche pluridisciplinaire allant de la physique à la biologie pour optimiser la conception des nanoparticules, étudier les mécanismes physiques et biologiques induits par les nanoparticules au cours de l’irradiation, étudier la biocompatibilité et l’efficacité thérapeutique de ces nanoparticules sur des modèles cellulaires et sur des modèles précliniques de glioblastome.
Impact pour l’équipe de recherche : Un financement du type de l’ERC est un tremplin exceptionnel pour permettre aux jeunes chercheurs d’émerger en montant une équipe entièrement dévouée à un projet ambitieux. J’ai également réalisé qu’un tel financement est souvent perçu par la communauté scientifique comme une récompense académique, telle que pourrait l’être un prix scientifique par exemple, bien qu’il récompense plus un projet, une vision, que des réalisations passées. Mais cela en fait un coup d’accélérateur indéniable pour la carrière du porteur ! Enfin, ce financement étant particulièrement conséquent, il nous permet de travailler confortablement pendant plusieurs années en ayant la possibilité de nous focaliser sur la science, plus que sur la recherche de fonds.
Impact pour l’institution et la région : Au-delà de l’aspect pécunier, je pense que tout comme une ERC est perçue comme honorifique pour le porteur de projet par la communauté scientifique, elle est également perçue très positivement pour l’institut/la région qui héberge le projet. En effet, il est important de noter qu’une fois l’ERC en poche, le porteur du projet est libre de rejoindre une autre institution, une autre région s’il pense qu’il/elle sera dans de meilleures conditions pour mener à bien son projet. Ainsi, si on reste dans un institut, c’est que l’on juge que l’environnement est de qualité et que l’on a tout ce qu’il faut pour mener à bien notre projet ! D’un point de vue plus terre à terre, c’est également le type d’indicateurs qui sont pris en compte dans l’évaluation (inter)nationale de la qualité et de l’attractivité des instituts de recherche.
Quel est votre retour d’expériences sur votre candidature à l’ERC ? Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer ? Où avez-vous trouvé des accompagnements pertinents ? Quels conseils partageriez-vous avec des chercheurs qui penserait postuler ?
J’ai toujours considéré comme une évidence de postuler à l’ERC (pas de l’obtenir, mais de postuler !) en gardant en tête « je n’ai rien à perdre ». Cela fait partie d’une logique : je suis partie en post-doc aux USA pour acquérir de nouvelles compétences, construire petit à petit mon projet de recherche. Quand j’ai décidé de revenir en France et que j’ai obtenu mon poste de chercheur à l’Inserm, il était nécessaire pour moi de trouver des financements pour mener à bien le projet pour lequel j’avais été recrutée. Pour cela, l’ERC est un outil idéal puisque c’est un financement conséquent qui permet de s’implanter et d’obtenir l’indépendance et la liberté pour monter son équipe et diriger son projet de recherche. Bien sûr, il y a d’autres sources de financements possibles mais les financements européens étant particulièrement conséquents, cela en fait une option de choix. Bien sûr, rien n’est gagné d’avance, la compétition est rude et il faut reconnaître que le processus est assez éprouvant ! Cependant, même en cas « d’échec », il est possible de valoriser les efforts fournis pour le montage de cette candidature pour d’autres financements ou même uniquement pour affiner notre projet de recherche et trouver de nouvelles idées. Donc vraiment, il n’y a rien à perdre !
Pour ma part, j’ai candidaté deux fois à l’ERC. Une première fois en 2019, candidature infructueuse pour laquelle je n’ai pas été sélectionnée pour l’oral. J’avais à ce moment-là obtenu le soutien du CLARA par le programme ERC Booster et du programme Fostering Science de l’Université Grenoble Alpes pour m’aider dans la préparation du dossier. Malgré tout, cet échec m’a été relativement utile puisque les retours que j’ai eu mon permis d’améliorer et de faire murir le projet qui a ensuite été financé lors de cette seconde candidature en 2023. Cette fois-ci, je n’ai fait appel à aucun accompagnement spécifique pour la partie écrite, principalement par faute d’anticipation, à l’exception de quelques collègues qui ont relu le projet. Par contre j’ai bénéficié d’un fort soutien de Fostering Science pour la préparation à l’oral et également de l’Inserm qui a organisé un oral blanc avec d’anciens membres du jury ou anciens lauréats. La difficulté à ce stade est de ne pas se laisser noyer par les conseils (parfois contradictoires) que l’on peut obtenir des différentes personnes.
Quoiqu’il en soit, je ne peux qu’encourager tout chercheur qui a un projet scientifique en tête à se lancer dans l’aventure en gardant en tête ce « je n’ai rien à perdre » ! Le projet et le porteur sont mis à rude épreuve pendant cette préparation mais je pense que les deux en sortent grandis et plus matures scientifiquement.