Comment une collaboration entre les états membres de l’Union Européenne peut-elle permettre d’améliorer le diagnostic et le traitement des patients atteints de cancer ? Le Professeur Jean-Yves Blay, directeur général du Centre Léon Bérard, président de la fédération Unicancer et à la tête du réseau de référence des cancers rares en Europe, nous a accordé une longue interview pour mieux comprendre.
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Vous êtes intervenu récemment à la commission européenne : quel est l’objectif d’une collaboration à l’échelle européenne dans la lutte contre le cancer ?
Jean-Yves Blay : En Europe, la prise en charge en santé est de la responsabilité de chaque état membre. Mais l’Union Européenne a également toute sa place pour apporter un complément : lorsque les maladies sont particulièrement rares, cela n’a pas beaucoup de sens que les professionnels de santé et de la recherche les prennent en charge à l’échelle nationale uniquement.
Au contraire, nous devons tirer bénéfice de l’Union européenne pour rassembler nos forces et nos connaissances !
En ce sens est né en 2017 le programme européen ERN (Centres de référence européens). 24 ERN « maladies rares » ont donc été créés et parmi ces 24 ERN, quatre sont consacrés au cancer, dont un pour lequel je suis le référent qui est l’ERN consacré aux cancers rares solides de l’adulte, ERN EURACAN.
Un ERN, c’est donc un ensemble d’hôpitaux sur le territoire européen qui collaborent fortement ensemble : pour l’ERN dont je m’occupe, il s’agit de faire travailler ensemble 100 hôpitaux dans 26 pays, tous spécialisés dans les cancers rares, qui représentent tout de même, à l’échelle européenne, 20 % des cancers.
Dans un même temps et tout récemment, l’Union européenne a également décidé de lancer des programmes pour la santé, notamment un plan cancer qui a pour but de coordonner les actions étatiques au niveau européen. C’est un immense projet, où chaque nation va venir apporter sa pierre à l’édifice.
L’objectif de ces programmes européens sur le très long terme est de travailler main dans la main pour avancer, par exemple, dans la compréhension plus précise de toutes les causes de cancer mais également de profiter d’un transfert de compétences et d’expériences d’un pays à l’autre.
La France n’est pas exempte de manques : ces collaborations vont nous permettre également de tirer bénéfice des travaux et expériences des autres états. Nous sommes plus forts à 500 millions qu’à 60. C’est aussi simple que cela.
Donc l’idée serait de pouvoir avoir une vision des meilleurs diagnostics, des meilleurs traitements, mais à l’échelle de l’Europe et non plus à l’échelle nationale comme c’est le cas aujourd’hui.
Jean-Yves Blay : Exactement ! Le but est guérir le plus de personnes malades du cancer.
Pour cela, il y a selon moi quelques étapes clés très importantes pour améliorer cette situation.
La première étape est d’avoir le bon diagnostic. Mais même dans notre pays, si je prends l’exemple de la tumeur dont je m’occupe, à savoir les sarcomes, 30 % des diagnostics sont malheureusement erronés faute de compétences suffisantes dans l’établissement vers lequel le patient s’est adressé. Ce n’est pas la faute des praticiens, c’est juste qu’ils n’ont pas l’habitude. Il s’agit donc là d’un objectif majeur de la coordination européenne en vue d’améliorer significativement la prise en charge des patients.
La deuxième étape est celle de la prise en charge bien évidemment, selon les recommandations de pratiques cliniques partagées de tous en s’assurant qu’elles soient bien suivies.
La troisième étape je pense, pour que cette coordination européenne nous permette d’atteindre nos objectifs, serait d’avoir des réponses à une question assez peu évoquée : quel est le devenir des patients ? Lorsque qu’ils sont soignés sur le continent européen, que deviennent-ils ?
L’opportunité qui nous est offerte par ces rapprochements européens est de nous donner une histoire de la maladie homogène à travers des registres d’épidémiologie partagés sur une très large échelle : quelle est l’évolution d’un cancer pour tous les patients atteints de cancer et guéris d’Europe et non plus pour 1000 malades venant d’un centre, comme le Centre Léon Bérard ?
Ce changement d’échelle nous offre une plus grande précision et nous permet de tirer de toutes nouvelles conclusions.