Vaccination et cancer : l’impérieuse nécessité de science
Une des principales difficultés de la prévention contre le cancer réside dans le fatalisme de certains de nos concitoyens, souvent les plus exposés aux facteurs favorisant l’apparition de la maladie et qui adoptent des pratiques délétères à leur santé. Estimer que la survenue du cancer est entièrement due au hasard, à la malchance, ne dispose pas à mettre en œuvre les conditions qui autoriseraient une diminution du risque. C’est pourquoi il faut, sans relâche, rappeler les effets nocifs du tabac et de l’alcool, et souligner par exemple que le premier constitue le principal facteur de risque évitable de cancers.
Mais la prévention en santé rencontre une difficulté supplémentaire lorsqu’elle investit des terrains où les connaissances scientifiques semblent dé-corrélées des représentations les plus répandues dans la société. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne la prévention du cancer du col de l’utérus, qui touche chaque année plus de 3000 femmes en France. Les messages de santé publique doivent en effet aborder de front deux domaines qui, pour bon nombre de français, semblent parfaitement indépendants : celui du cancer donc, et celui de la vaccination antivirale.
Une situation sanitaire préoccupante
Les chiffres sont pourtant extrêmement parlants : les virus HPV (Human PapillomaVirus en anglais) sont impliqués dans 70% des cancers du col d’utérus ! Plus précisément, ils sont directement impliqués dans l’apparition de lésions dites précancéreuses ou potentiellement malignes, qui présentent le risque de se transformer en cancer. Ainsi, protéger la population des virus HPV, c’est protéger les femmes de la principale cause des cancers de l’utérus, cancers qui tuent chaque année plus de 1000 d’entre elles.
Cette protection, nous la connaissons et nous en disposons : c’est la vaccination des jeunes filles. Or, la situation est alarmante : alors que certains de nos voisins européens, tels le Portugal ou le Royaume-Uni, ont des taux de couverture vaccinale supérieurs à 80%, il n’est que de 14% en France ! Bien loin d’ailleurs de l’objectif de 60% fixé par l’Institut National du Cancer (INCa).
Agir à notre échelle : le projet PAPRICA
Dans le cadre de ses missions de soutien de la recherche sur le cancer, le Cancéropôle Lyon Auvergne Rhône-Alpes (CLARA) souhaite mettre un accent tout particulier sur la prévention anti-HPV. Notre action est animée par deux convictions : d’une part, à l’instar de la recherche en sciences de la vie, la recherche en santé publique et en prévention s’intéressant aux comportements des individus doit s’appuyer sur des théories éprouvées, des méthodologies précises, des preuves solides : bref, sur la science. D’autre part, étudier les comportements individuels ne doit pas faire porter le poids de la décision en santé sur les seules épaules des citoyens concernés, en l’occurrence des jeunes filles en âge de se faire vacciner (11 à 14 ans). Il est bien sûr impératif de permettre à chacun d’augmenter ce que l’on nomme sa health literacy, c’est-à-dire non seulement son aptitude à trouver les bonnes informations sur la santé, mais aussi à les intégrer dans des prises de décision concrètes et éclairées. Mais il n’est pas moins important de considérer qu’un choix comme celui de se faire vacciner ou non implique une pluralité d’acteurs, qui ont tous leur rôle à jouer dans une démarche collective.
C’est la raison pour laquelle le CLARA s’est engagé à soutenir le projet PAPRICA porté par des épidémiologistes du Centre International de la Recherche sur le Cancer (CIRC) et mobilisant des équipes de laboratoires de santé publique (HESPER), et de psychologie sociale (GRePS) de l’Université Lyon St-Étienne. Ce projet de recherche interventionnelle s’appuie sur les travaux montrant le rôle déterminant du médecin généraliste dans la prise de décision relative à la vaccination. Il fait l‘hypothèse selon laquelle la compréhension fine des difficultés quotidiennes des médecins généralistes à aborder le sujet de la vaccination, à proposer la vaccination aux jeunes filles en âge de le faire, ouvre la voie à des échanges éclairés entre les médecins et leurs patientes, pour finalement permettre une prise de décision concertée et partagée. Grâce au soutien financier de la Métropole de Lyon (près de 300 000€), le projet PAPRICA vise ainsi à renseigner les obstacles qui freinent aujourd’hui des médecins généralistes, par ailleurs le plus souvent convaincus de l’utilité de la vaccination, à la proposer à leurs patientes, mais également à leur donner des outils pour le faire.
Un modèle à construire
Au-delà de la seule question de la vaccination anti-HPV, le CLARA porte l’ambition d’aider les chercheurs à construire des dispositifs permettant à la fois de produire des connaissances scientifiques nouvelles et utiles, et d’intégrer ces connaissances dans une dynamique d’amélioration des pratiques existantes. En ce sens, le projet PAPRICA peut être perçu comme un modèle qui pourrait ultérieurement être déclinable à d’autres thématiques de santé publique, et à d’autres acteurs de santé que les médecins généralistes.
À l’heure de débats animés sur la vaccination, qui sont autant de scènes où se confrontent des arguments plus ou moins recevables, dont la disparité ne peut que légitimement troubler le spectateur peu averti, il apparaît indispensable d’accroître nos efforts en soutenant une recherche de qualité, sachant conjuguer, comme le fait PAPRICA, l’épidémiologie, les sciences humaines et sociales et la santé publique.
Véronique Trillet-Lenoir,
Professeure de Cancérologie au Centre Hospitalo-Universitaire de Lyon
Présidente du Comité de Direction du Cancéropole Lyon Auvergne Rhône Alpes (CLARA)